Une journée au parc
La ville de Rennes est très belle. En fait, c’est une ville chouette, un mélange de style moyen-âge, renaissance, classique et contemporain, avec des maisons traditionnelles à pans de bois colorés, des petites rues pavées étroites, les portes Mordelaises et des fortifications gallo-romaines, l’ancienne chapelle Saint-Yves, gothique flamboyante, l’hôtel de Blossac du XVIII siècle, le palais Saint-Georges et son grand et royal jardin à l’est du centre-ville, le Parlement de Bretagne, tricolore, un bâtiment d’architecture classique, la Mairie baroque, l’Opéra à l’italienne, le Palais du Commerce, une construction en béton armé, et le Théâtre national de Bretagne moderne et la Tour de l’Éperon. Bref, il y a un peu de tout ici – c’est une ville où l’ancien rencontre le nouveau, et, étonnamment, elle parvient très bien à maintenir les différents styles architecturaux en équilibre et en harmonie.
Cependant, la ville de Rennes est loin de n’être qu’une ville calme. En fait, c’est une ville rebelle, l’une des villes de France avec le plus de manifestations. C’est une ville où les habitants n’hésitent pas à défendre leur point de vue et à lutter contre toute injustice – moi, j’en ai été témoin moi-même. J’étais à Rennes depuis quatre jours quand les protestations ont recommencé ; je suis étudiante en français à l’Université d’Islande et le semestre dernier, j’ai participé à un programme dans lequel on devait faire un séjour à Rennes et suivre des cours à l’université là-bas. Mais comme il y a eu des grèves, des journées de mobilisation et des manifestations dans la ville, cette fois-ci contre la réforme des retraites en France, l’université a été fermée pendant la majeure partie du séjour. C’était dommage, mais notre professeur nous a proposé de faire une promenade dans le parc des Gayeulles à la place, en collaboration avec un doctorant qui était aussi notre guide.
Le parc des Gayeulles est situé à une dizaine de kilomètres du centre-ville. On a marché jusqu’à la station de métro la plus proche, mais celle-ci était fermée à cause des manifestations dans la ville. On est alors allés à la station prochaine, située un peu plus loin, et on a pris le métro à partir de là. Puis, on est sortis un arrêt plus tôt que le parc pour s’arrêter au supermarché afin d’acheter quelque chose à manger et à boire. Après tout, le voyage du centre-ville avait pris un peu plus de temps que prévu. Ensuite, on a marché jusqu’au parc. Il faisait beau, mais il y avait des nuages et j’avais un peu froid. On pouvait sentir la chaleur envahir le jardin, mais en même temps, on pouvait remarquer que bientôt le printemps viendrait.
On a fait une promenade dans le parc qui était plutôt vide, car ce n’était qu’un jour de semaine en février, mais on pouvait apercevoir des bateaux, des aires de jeux, des installations de fitness, et des terrains de camping, tout sans doute beaucoup utilisé l’été – probablement, le parc sert alors de lieu de loisirs en quelque sorte. Moi, j’ai regardé les hauts arbres qui atteignent gracieusement le ciel et j’ai écouté le chant des oiseaux. Ils ont chanté comme s’ils attendaient le printemps avec impatience.
On s’est promenés quelques pas dans le jardin et puis, on s’est assis sur un banc autour d’une table, tous ensemble, pour pique-niquer. J’avais pris avec moi un morceau de baguette et un croissant au chocolat. J’avais aussi un peu de thé chaud dans un thermos, et à ce moment-là, j’étais tellement reconnaissante d’avoir pensé à l’apporter avec moi. Le gentil doctorant nous a également réservé une surprise – une grosse boîte remplie de cookies qu’il nous a offerts. Il y avait toutes sortes de cookies : quelques-uns avec du chocolat, d’autres avec des pralines, d’autres encore avec des bouchées d’orange et, enfin et surtout, quelques-uns avec des biscuits Oreo écrasés. J’ai choisi un de ces cookies-là, je l’ai goûté et j’ai bu ce qui restait de mon thé.
Et tout d’un coup un souvenir m’est apparu. C’était un jour pluvieux, j’étais dans la cuisine de ma grand-mère, j’avais peut-être six ou sept ans, je ne sais pas exactement, et, remuante, j’attendais que ses cookies renommés sortent du four. Grand-mère a branché la bouilloire électrique pour faire du thé pendant que nous attendions que le minuteur sonne, j’avais l’impression que nous avions attendu depuis belle lurette, mais grand-mère a commencé à me raconter des histoires pour faire passer le temps plus vite. Je ne me souviens pas des histoires, mais le stratagème de grand-mère avait été une réussite puisque le temps s’est soudainement mis à passer. Bientôt, le minuteur a sonné et les cookies sont sortis du four. J’ai tout de suite voulu goûter les cookies, mais grand-mère m’a dit d’attendre, car ils étaient encore brûlants. Elle a versé doucement le thé dans nos tasses et puis, enfin, elle a mis les cookies sur une petite assiette fleurie et me les a offerts. Ensuite, nous avons mangé et bu en silence, cependant, ce n’était pas un silence inconfortable, oppressant ou étouffant, mais ce genre de silence où deux personnes n’éprouvent pas le besoin de se dire un seul mot, se comprenant sans mots, paisibles. Je me suis toujours sentie comme ça avec ma grand-mère. Le vide qu’elle a laissé me le rappelle.
Je me suis arrachée à ce souvenir quand j’ai entendu et remarqué que les autres étaient en train d’emballer leurs affaires. J’ai commencé à emballer mes affaires aussi, et on a continué le tour. On a marché pour un peu plus longtemps et on a fait le tour du parc de Gayeulles. C’est un grand parc d’une centaine d’hectares de champs, situé au milieu d’un paysage naturel. En fait, c’est le plus vaste parc de la ville de Rennes, avec des espaces boisés qui se succèdent tout le long des nombreux sentiers. Qui sait ce qui pourrait se cacher dans la forêt de conifères, des clairières, en haut des chênes et peupliers élevés, dans le feuillage des merisiers majestueux, derrière les haies bocagères, dans les étangs ou même au fond des zones marécageuses ? J’ai regardé autour de moi et je me suis rendu compte qu’en effet, dans ce parc, il y avait beaucoup d’endroits où l’on pourrait laisser un bébé, tout comme j’ai moi-même été abandonnée et retrouvée. Mais on ne laisse pas de bébés dehors ici, on l’espère en tout cas.
J’ai arrêté de contempler l’environnement et j’ai hâté le pas afin de rejoindre les autres. Cette randonnée avait vraiment été pour moi une plongée dans les vieux souvenirs, un éveil du passé agréable, et de ma charitable grand-mère. Je savais ce que je devais trouver. Il fallait aller à la boulangerie qui vend ces merveilleux cookies, et en acheter quelques-uns.
Écrit par Alfa Magdalena Birnir Jórunnardóttir.